Vous avez vingt ans. On promet la fièvre à vos enfants. Une planète en feu, où un pourcent possède autant que la moitié.
Vous avez quarante ans. Vous êtes à cheval entre deux mondes. Vous avez vécu l’Accord de Paris sur le climat. Même la France ne le respecte pas.
Vous avez soixante ans. Vous avez connu la Guerre froide. C’est stupéfiant, le débat économique est toujours aussi indigent, peuplé de gentils et de méchants. Les entreprises, notamment les plus grandes, représentent trois-quarts de la solution à la réduction des inégalités et de notre empreinte écologique. Fait méconnu : pour les soutenir, l’Etat dédie chaque année 200 milliards d’euros (subventions, crédits d’impôt, niches, niches cachées), dont une part généreuse aux plus polluantes. Pourtant, elles ne sont pas incitées à se fader des enjeux que, seul, l’Etat ne résout pas. Nous vivons dans un monde où « la seule responsabilité d’une entreprise est de faire du profit ». Ce monde n’est pas néo-libéral car il laisse faire, mais parce que l’Etat est interventionniste, notamment au service des grandes entreprises.
Votre famille politique est à droite. Je vous connais : mon père était rédacteur en chef du Figaro. Désolé, vous faites fausse route : le logiciel économique, de Macron à Le Pen, ne prend pas en compte les dizaines de milliards de coûts sociaux et environnementaux causés à notre société par les entreprises classiques. Dans les années 1970 déjà, tous les politiques, toutes les multinationales savaient pour le Climat. Cinquante ans qu’on sait. Et qu’on nous enfume avec des rapports RSE, la raison d’être ou l’entreprise à mission. Lorsque cheffes et chefs de grandes entreprises agissent, elles et ils sont désavoués par leurs actionnaires. Pardon de vouloir que la planète reste habitée. Il faut changer de méthode.
Vous vous battez pour une redistribution des richesses et la bifurcation écologiste. Comme moi, vous avez voté ou travaillé pour la France Insoumise, les Ecologistes ou le Parti Socialiste. Vous avez cru aux partis politiques. Ils sont indispensables à notre démocratie. Mais leurs logiques en font des machines à broyer les nuances, les mains tendues, les individus. « Refuser la critique des points fondamentaux est ce qui menace le plus les facultés humaines de compréhension. »
Les programmes des partis de gauche détiennent tous une partie de la solution. En revanche, aucun ne s’est attaqué à la définition de l’économie et de l’entreprise du XXIème siècle. Il nous manque le « Il était une fois » du récit.
Oui, en 2024, une entreprise privée doit remplir des missions de service public. Des centaines d’entreprises le font déjà. Mais elles subissent une concurrence déloyale de la part des entreprises dont le modèle économique engendre, pour nous contribuables, des dépenses sociales et environnementales. Ces entreprises ont un budget Publicité 1000 fois supérieur à l’argent public dépensé pour inciter à une consommation responsable. Le système doit changer.
Ce changement de paradigme, cette rupture, n’est pas au cœur des programmes politiques et du débat public. Soit que, par idéologie, manque de courage politique ou bails de carrière, il ne sera jamais défendu que les entreprises privées – y compris les plus grandes – peuvent, si elles y sont incitées, renoncer à maximiser leurs profits. Soit que cette question est noyée dans un flot de petites phrases, de questions byzantines, de propositions non hiérarchisées. Ras-le-bol.
Ayons le courage des mots. C’est cette économie de marché qui est déglinguée, pas les principes de propriété privée et d’accumulation du profit. Une cheffe d’entreprise classique (SARL, SA) peut accumuler du profit pour le dédier ensuite au bien commun. Par souci de pédagogie, de démocratie, assumons que le premier pas vers le changement se fera dans un monde capitaliste. Mais radicalement différent, mû par une économie modelée à notre service, comme un verre de Murano.
Comment s’appelle cette économie ? Comment cette économie est-elle mise en musique ? La planification écologique ne concerne-t-elle pas aussi les entreprises ? Aucun parti politique n’a imaginé le rôle de l’Etat pour saupoudrer ce gâteau de 200 milliards d’aides publiques aux entreprises.
Alors, quelle évaluation publique de ces dépenses, qui aggravent la crise climatique et la pauvreté ? Quelle part de galette attribuer à quel type d’entreprise, qui va sous la table pour distribuer les parts, sur quels critères ? Qui décide des critères, l’Etat, les branches professionnelles, un débat national ? Comment prendre en compte la pénibilité, les risques professionnels à l’usine, les risques psycho-sociaux, les écarts de salaire, la parité salariale, le congé paternité, la reconnaissance au travail, l’insertion, le partage des richesses avec les territoires ou les agriculteurs, l’empreinte écologique ?
Le statut de l’entreprise est-il un gage de vertu ? L’Economie Sociale et Solidaire, les coopératives, sont-elles le seul modèle économique visé par la gauche au pouvoir ? Reconnait-on à toute entreprise privée la faculté d’être vertueuse, et récompensée ? A partir de quel pourcentage de ses activités dédié à des enjeux sociaux ou environnementaux une entreprise est-elle d’intérêt général ? 50%, 75%, 100% ?
Faut-il fiscaliser de la même manière Fairphone et Apple ? Fiscaliser de la même manière des actionnaires gloutons et des actionnaires patients ? Faut-il exonérer de cotisations sociales les bas salaires de crèches et maisons de retraite privées, qui exploitent des femmes et rationnent les couches, ou les entreprises de l’agro-alimentaire qui rémunèrent les agriculteurs sous le seuil de pauvreté ? Interdiction, taxe, ou incitation fiscale ? Faut-il un Impôt sur les sociétés supérieur pour les entreprises qui visent un rendement de court terme, au mépris des coûts de l’urgence sociale et environnementale pour les contribuables ? Etc.
Ces questions et quelques autres, sans lesquelles on n’a rien dit sur l’avenir de la France et du monde, méritent un débat citoyen et concept qui traverse le mur du son.
J’en propose un : 200 milliards pour un capitalisme de service public. Cette nouvelle économie répondra à la préoccupation des gens : leur pouvoir de vivre. Etre français, n’est-ce pas imaginer un modèle singulier ?
Pourquoi moi, à trente-huit ans, un fils, des échecs et quelques succès ? Ces succès ont tous un point commun : une prise de risque, là où les experts n’osaient pas.
Nous sommes demain. Venez. Puis non pas « Faites-mieux » : faites-le.
Septembre 2024